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Mathieu Riboulet est un écrivain que je suis depuis la parution de ses premiers romans chez Nadeau. Depuis il n'a jamais cessé de me séduire. Hébergé depuis 2008 chez Verdier, Mathieu Riboulet a trouvé une maison où l'intensité de ses réflexions, où la profondeur de sa phrase pouvaient s'épanouir sous de bons auspices.

Quelle autre maison que les Editions Verdier pouvait accueillir dans son catalogue *Entre les deux il n'y a rien *?

L'écriture pour Mathieu Riboulet n'a qu'un seul objectif : nommer et dater. Et il n'y a pas d'autre déclencheur d'écriture dans *Entre les deux il n'y a rien. *
Nommer les hommes et les femmes qui au cours des années 70 sont tombés, abattus comme des chiens, dans les rues pacifiées de Paris, de Berlin, de Rome parce qu'ils désiraient autrement et autre chose que cette prospérité née dans l'après-guerre.
Dater les années de plomb : 1967-1972-1977-1978. Où chaque date réveille notre mémoire d'européen meurtri par ces morts tombés sous le coup de la violence d'Etat.

Le narrateur d'Entre les deux il n'y a rien est le témoin fasciné de ce bouillonnement contestataire. Trop jeune pour s'engager (ou pas assez de couilles dit-il), il exprimera sa révolte par l'affirmation de son homosexualité et l'offrande de son corps aux hommes bafoués par l'oppression sociale. Cette conscience politique du corps et de la sexualité prendra un autre tournant à l'apparition du Sida.
A l'orée des années 80, ce sera une génération sacrifiée et éteinte, coincée entre les années de plomb et les années Sida qui devra faire sa place dans un monde où le capitalisme explosera 10 ans plus tard.

Mathieu Riboulet s'offre une réflexion intense sur la violence politique, sur les impasses sanglantes dans lesquelles les luttes contestataires des années 70 se sont retrouvées. Et il rappelle qu'à l'époque l'horizon de la politique était la mort.
Et en cela il éclaire violemment notre si belle Europe où tous les enfants de la désobéissance se retrouvent catalogués "terroristes" ou meurent dans Zones A Défendre sans que personne ne s'interroge vraiment sur les raisons profondes de leur action.
Cette méfiance actuelle pour les mouvements collectifs trouve sans doute ses racines dans le sang versé en 1967 - 1972 - 1977 - 1978.

Mais faut-il désespérer ?
Pas de réponse franche dans le texte de Mathieu Riboulet.

Alors, une fois de plus, allons lire Marguerite Duras. En 1977, elle s'entretient avec Michèle Porte à la suite de la réalisation de son film Le Camion. A propos de la répression des mouvements politiques, elle dit :

"Il y a la peur de ne pas pouvoir maîtriser les courants de force libre qui existent de plus en plus en France, la peur de perdre la partie, de rater l'affaire face à l'imagination des peuples, à l'utopie, à la poésie, à l'amour. Comment maîtriser l'amour ?"

et

"Je crois à l'utopie politique. C'est l'utopie qui fait avancer les idées de gauche, même si elle échoue. Il n'y a qu'à tenter des choses même si elles sont faites pour échouer. Même échouées ce sont les seules à faire avancer l'esprit révolutionnaire."

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